Contesté à droite et à gauche, le projet de loi pour ”contrôler l’immigration, améliorer l’intégration” a été rejeté par l’Assemblée nationale lundi 11 décembre à travers une motion de rejet. Il revient désormais à la version adoptée au Sénat, taxée de très restrictive envers l’immigration. Parmi les raisons du rejet à droite, des a priori sur la régularisation des travailleurs “sans-papiers” dont nous avons montré la nécessité dans notre dernier article. Et l’un de ces a priori : ces travailleurs issus de l’immigration occuperaient des postes des locaux (des nationaux) qui, en conséquence, se retrouveraient au chômage. Un argument faux, d’après les travaux de recherche disponibles. Dans le cadre de notre série de décryptages, nous analysons aujourd’hui cette idée reçue.
Mise au point
Le présent article n’a pas vocation à légitimer quoi que ce soit. Ni le rejet de ce projet de loi, quoique nous nous soyons souciés de son utilité ici, ni son maintien car il ne s’inscrivait pas, du moins totalement, dans la logique de la cause que nous défendons : la dignité de toutes les personnes exilées, notamment par un modèle d’intégration professionnelle optimal, efficient. Nous entendons par contre contribuer à lutter contre les biais en défaveur de cette cause.
Par ailleurs, si la motion de rejet du projet de loi vient d’être adoptée, les débats sur son contenu se poursuivront, au moins plus tard. Déjà, début 2024, il est envisagé des discussions sur l’Aide Médicale d’Etat que le Sénat avait supprimée dans sa version dudit projet. Le texte rejeté reprendra donc la version adoptée au Sénat, comme base des discussions, il y retournera ou sera renvoyé en commission mixte paritaire. Notre lutte contre les stéréotypes qui mettent à mal ou stigmatisent les personnes conduites à l’exil garde donc toute son importance.
Sans immigration, le chômage subsiste ; sans immigration, des postes restent inoccupés
Il n’aura pas fallu attendre zéro chômage pour alerter. Ni en Allemagne – qui entend copier le modèle canadien du “système à points” – ni en Espagne – favorable à “immigration régulière, ordonnée et sûre” – ou encore en Australie. Ces dernières années, plusieurs pays en Europe et dans l’OCDE, confrontés à des problèmes de main d’œuvre, ont fortement encouragé l’immigration de travail.
Après 2 ans de fermeture quasi-totale, notamment à la suite de la pandémie de covid-19, l’Australie a également fait face au réalisme. Le gouvernement travailliste, en besoin d’au moins 480 mille nouveaux recrutements en 2022, a admis vouloir accueillir tous les ans au moins 200 mille immigrants sur l’île-continent. Le niveau de chômage y avoisinait les 4%.
Pour sa part, la France, avec un taux de chômage de 7,4%, l’un des plus élevés d’Europe, accuse toutefois régulièrement des soucis de recrutement. Fin 2022 encore, 68% des employeurs se disaient confrontés à des problèmes de recrutement, selon une étude de Pôle Emploi. Au moins 150 000 postes restaient en effet non pourvus. Alors, pourquoi un chômage et une pénurie de main d’œuvre en parallèle ? Pour plusieurs raisons.
La main d’œuvre immigrée et locale ne sont pas interchangeables
Dans notre tribune sur le triple déclassement professionnel des personnes immigrées en France, nous avons notamment pointé cette division du travail. Ces dernières, qualifiées comme non qualifiées, sont en effet confinées dans les métiers de “seconde zone”, délaissés par la main d’œuvre locale. Par conséquent, les candidats natifs et immigrés ne sont pas en concurrence. Ils ne sont pas substituables.
Sur base de différents paramètres économiques, plusieurs travaux de recherche remettent ainsi en cause les idées reçues au sujet de l’impact de l’immigration sur le chômage. Loin de tout impact négatif, l’immigration réduit les tensions du marché de l’emploi, en même temps qu’elle impulse de nouvelles embauches. L’économiste Marine de Talancé, l’a encore rappelé fin novembre, dans son interview au site d’information lafinancepourtous.com.
En effet, hormis qu’ils travaillent et payent des impôts, les immigrés consomment et, ce faisant, amènent les entreprises à recruter pour prendre en charge la clientèle croissante. De plus, ils entreprennent, innovent, deviennent des employeurs, absorbant ainsi une partie des personnes au chômage. En Australie par exemple, les ministères ayant en charge les finances et l’immigration dans leurs attributions ont montré, dans une étude conjointe en 2018, que les immigrés avaient créé près de 70% des emplois (850 mille) au cours des cinq ans précédents.
Les immigrés de nationalité étrangère interdits à certains métiers par la loi
En France, la fonction publique est interdite aux immigrés de nationalité étrangère. Ces derniers peuvent être contractuels ou vacataires et jamais des titulaires. A l’exception des enseignants-chercheurs. La fonction publique concentre, en France, autour de 20% des actifs, salariés. Environ 6 millions de salariés comme l’indique l’INSEE (2021).
Ensuite, il y a des professions réglementées. Selon l’Urssaf, toutes les professions organisées en ordres professionnels (architecte, avocat, chirurgien-dentiste ; expert-comptable, géomètre-expert, infirmier libéral, médecin, pédicure-podologue, sage-femme, vétérinaire) ; les officiers publics ou ministériels titulaires d’un office conféré par l’État et nommés par décision d’un ministre ; les auxiliaires médicaux dont l’activité est réglementée par le code de la santé publique (diététicien, infirmier libéral, masseur-kinésithérapeute, orthophoniste, orthoptiste, etc. ) ou encore d’autres professions libérales comme psychothérapeute.
Le monde, dans son article “ Idée reçue sur les migrants : « Ils volent le travail des Français »” montre également que les étrangers ne sont pas eux-mêmes égaux devant la loi. Il parle d’un accès différencié aux autorisations de travail, que cela soit entre communautaires et extra-communautaires ou encore entre les extra-communautaires eux-mêmes.
S’intéresser à l’apport de l’immigration plutôt qu’aux biais polarisants
Le reproche de vol du travail est en définitive déplacé car, hormis des terrains d’exercice séparés, y compris par la loi, les personnes immigrées d’origine étrangère en créent autant que les nationaux.
Enfin, parlant de l’impact de l’immigration sur l’économie nationale – car c’est bien ce dont il s’agit à travers les paramètres de chômage et du travail qui en sont des variables – ne serait-il pas judicieux de s’intéresser à ses contributions qui s’avèrent positives si on fait le ratio entre les contributions versées par les immigrés et ce qu’ils coûtent à l’Etat ? Le dernier rapport de l’OCDE à ce sujet montre en effet que ce ratio est positif.