Les décryptages de Metishima #1 : Révisions répétitives de la loi immigration : mieux comprendre la situation

un classeur avec le contenu d'une loi immigration

Après une montée de flux migratoires en Europe pendant les Trente glorieuses, c’est ensuite un véritable feuilleton d’événements politiques au sujet de l’immigration en France. L’actuel projet de loi pour “contrôler l’immigration, améliorer l’intégration” sera, s’il est adopté, la 29ème loi de ce feuilleton depuis 40 ans. Entre ouvertures et durcissements, qu’est-ce qui a donc évolué depuis les années 80 ? Metishima revient sur des moments marquants de ces mutations. 

Loi immigration Mitterrand I et II  : expulsions et régularisations, entre assouplissement et durcissement 

Alors que les lois Bonnet et Peyrefitte, respectivement en 1980 et 1981 rendent strictes les conditions d’entrée et de séjour en France, avec notamment la légalisation des contrôles d’identité (loi Peyrefitte) des personnes exilées à titre préventif, l’élection de François Mitterrand amorce un assouplissement. 

L’abrogation des dispositions de la loi Bonnet (octobre 1981) s’accompagne de l’introduction de la carte de résident pour rendre durable l’installation des personnes exilées (septembre 1984). Une circulaire dispose des modalités de régularisation des travailleurs “sans papiers”, une autre recommande de ne pas expulser les étrangers nés en France et précise des garanties entourant les procédures d’expulsion pour le reste.  

Toutefois, l’opposition RPR-UDF qui remporte les législatives, ouvrant le reste du mandat (1986-1988) à la cohabitation durcit les politiques d’immigration. La loi Pasqua (septembre 1987) rétablit le régime des expulsions, restreint l’accès à la carte de résident et la liste des étrangers protégés contre les mesures d’éloignement. 

Le second septennat de François Mitterrand (1988-1995) est traversé par la même instabilité législative sur les questions migratoires. Avec toujours la cohabitation entre les deux tendances antagonistes. Si la loi Joxe (1989) protège contre l’expulsion des personnes ayant des attaches notamment familiales en France, d’autres lois sorties en 1991 luttent contre le “travail clandestin”. Elles permettent notamment de maintenir les demandeurs d’asile dans des “zones d’attente” (loi Quilès). Elles  remettent également en question l’acquisition de la nationalité française à la naissance, retirent le titre de séjour aux étrangers polygames et introduisent les possibilités de retrait de séjour aux réfugiés. 

Chirac II : le ministre Sarkozy et son combat contre l’immigration irrégulière 

des personnes migrant dans le monde entier

La deuxième moitié des années 90 (Chirac I/1995-2002)) voit le renforcement du dispositif d’éloignement des étrangers en situation irrégulière avec notamment la rétention judiciaire. La loi Debré (avril, 1997) est ainsi combattue par la société civile qui militait notamment pour la régularisation des sans papiers. 

Le gouvernement Jospin du lendemain de la dissolution de l’Assemblée nationale régularisera (juin, 1997) partiellement ces derniers (conjoints de Français ou d’étrangers en situation régulière, les étrangers gravement malades, les étudiants, etc.) et invitera rapidement (janvier, 1998) les préfets à organiser le retour des non régularisés. Il permettra également la naturalisation des enfants nés en France de parents étrangers dès 13 ans.  

Le second mandat de Jacques Chirac (2002-2007) est particulièrement marqué par la multiplication de manœuvres de son ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy. Il tâche de mener une lutte acharnée contre l’immigration clandestine et le trafic des êtres humains en mettant sur pied la loi d’orientation et de programmation de sécurité intérieure. 

Le président Sarkozy préoccupé par l’effectif des étrangers en France : le regroupement familial remis en cause dans la loi immigration

Sous le quinquennat du président Sarkozy (2007-2012), qui considérait qu’”il y a trop d’étrangers sur notre territoire”, les politiques d’immigration se durcissent davantage. Alors qu’il prend le pouvoir seulement, en 2007, il conditionne l’acceptation au regroupement familial pour les membres des résidents étrangers à la réussite à l’évaluation du niveau de connaissance du français ou encore la connaissance et le respect des valeurs et des principes de la République. 

D’après  la “loi relative à l’immigration, à l’intégration et à l’asile” dite “loi Hortefeux”, ces personnes sont soumises à une formation de deux mois assortie d’une attestation de connaissance de langue. La loi modifie en outre les seuils de ressources pour les candidats au regroupement familial. Auparavant fixé au Smic quel que soit le nombre des personnes, les seuils dépendent désormais de la taille de la famille

A la fin du mandat, en 2011, il met en place la loi “relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité” qui durcit les conditions de maintien sur le territoire et d’obtention de la nationalité française. Celle-ci durcit les conditions d’entrée des personnes immigrées en instaurant notamment les “zones d’attentes exceptionnelles”. 

Hollande et Valls :  des mesures de régularisation mal accueillies à droite

Des figurines de personnes changeant de pays, avec des passeports et de visas en fond

En 2012, les politiques migratoires connaissent un nouveau tournant avec plus d’ouverture et d’intégration des personnes immigrées. 

Manuel Valls, ministre de l‘Intérieur d’alors, sort une circulaire, connue  désormais sous le nom de “Circulaire Valls” qui visait à régulariser la situation des étrangers “sans-papiers” remplissant certains critères spécifiques

L’accès aux soins médicaux pour les personnes exilées “sans papiers” restreint sous le quinquennant Sarkozy, avec notamment l’obligation de s’acquitter de 30 euros pour bénéficier de l’AME, est assoupli par la suppression de cette obligation. 

La naturalisation quant à elle n’est plus conditionnée au niveau B1 du Français langue étrangère (FLE), l’obligation de l’assiduité aux cours de FLE pour le renouvellement des titres de séjour, non plus

En revanche, ce gouvernement socialiste réintroduit le contrôle accru de la régularité de séjour des étrangers. En recourant notamment aux organismes pouvant détenir des informations (banques, écoles, etc.). Il légalise en même la rétention administrative des familles “sans papiers” contraintes à expulsion, introduite par les gouvernements de droite et durcie sous Chirac II et Sarkozy.  

Macron I et II : entre luttes et régularisations, le difficile choix à l’égard du  travail illégal

L’article le plus controversé du projet de loi actuel tel que formulé par le gouvernement est la régularisation automatique des travailleurs “sans papiers” exerçant dans les métiers en tension. Le Sénat a amendé cette disposition début novembre en prévoyant des régularisations au cas par cas

Cette régularisation s’inscrit dans la suite d’autres dispositions qui promeuvent l’immigration de travail. A l’instar de la création d’un titre de séjour “talents – professions médicales et de la pharmacie” ou encore le permis de travail aux demandeurs d’asile « dont le besoin de protection est manifeste ». La loi asile et immigration de 2018 avait réduit à 6 mois de résidence la possibilité de pouvoir accéder au marché de travail à tout demandeur d’asile. Cette loi visait notamment à mieux réguler l’immigration économique en simplifiant les procédures d’admission des travailleurs étrangers “sans papiers” dans les secteurs en tension tout en renforçant les mesures contre le travail illégal. D’aucuns pointent une vision utilitariste de l’immigration.

Renforcées déjà avec la loi asile et immigration de 2018, les mesures d’expulsion sont durcies dans le projet de loi actuel. Elles s’étendent notamment aux catégories d’exilés qui en étaient jusqu’ici exemptées, notamment les personnes exilées arrivées en France avant l’âge de 13 ans. Il durcit également les conditions d’entrée et de séjour  en France en resserrant les critères au regroupement familial, en instaurant un quotas annuel d’immigration et en conditionnant la délivrance du titre de séjour pluriannuel à la maîtrise du français attestée par un examen à la place des simples formations FLE actuelles.

Loi immigration en cours : Des révisions oui, mais…

L'assemblée nationale : lieu de débat sur la loi immigration

Et si l’histoire se répétait, que tout tournait en rond ? Ce feuilleton permet de pointer un cycle de mesures sans cesse amendées, durcies ou assouplies. Mais, jusqu’à quand ? La question migratoire préoccupe-t-elle tant la société quitte à être discutée quasiment tous les ans (tous les 16 mois depuis 40 ans) ? Ou serait-elle simplement un outil de crispation pour des positionnements politiques, de manipulations électoralistes ? 

Car, des lois Pasqua (1987) aux dispositions contenues dans le projet de loi actuel en matière d’expulsion ou de rétrécissement des conditions d’entrée ou de séjour par exemple, en passant par les mesures arrêtées sous Nicolas Sarkozy, quelle est l’évolution ? 

Nous allons revenir sur les différents sujets de ce projet de loi dans nos prochaines publications de manière plus analytique et plus détaillée. Mais, en attendant, l’Assemblée nationale qui se saisit, dès ce 28 novembre 2023, de ce projet de loi amendé en première lecture au Sénat devrait tenir compte de ces questionnements pour répondre au mieux aux problématiques qu’il suscite. 

Sources

  1. Projet de loi pour “contrôler l’immigration, améliorer l’intégration”, 2023
  2. Loi Bonnet sur l’immigration clandestine – 10 janvier 1980
  3. Loi Peyrefitte sur la sécurité – 2 février 1981
  4.  Circulaire sur la régularisation exceptionnelle de certains travailleurs étrangers irréguliers – 10 juin 1980 
  5. Loi Pasqua sur les étrangers – 9 septembre 1986 
  6. Loi Joxe sur les étrangers, 1989
  7. Loi Quilès, 1992 
  8. Nicolas Sarkozy sur Europe 1 (2012, 7 mars). Sarkozy : « trop d’étrangers sur notre territoire » publié sur https://www.europe1.fr/politique/Sarkozy-trop-d-etrangers-sur-notre-territoire-357914 
  9. Loi Hortefeux, 2007
  10. Loi Besson Besson/Hortefeux, 2011
  11. La circulaire du 28 novembre 2012 dite de régularisation des travailleurs étrangers “sans papiers” compte nombre de critères. Voir http://www.gisti.org/IMG/pdf/circ_norintk1229185c.pdf  
  12. Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie 
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