Migration : Halte au déclassement des personnes exilées en France

— Tribune – Migration : Halte au déclassement des personnes exilées en France

la justice et l'egalité à l'encontre du déclassement des exilés

Paris, Le 9 août 2023

Après des parcours migratoires éprouvants, les personnes conduites à l’exil, doivent faire face à un autre mal, dans les pays hôtes(1), et notamment en France : le déclassement. Les diplômes obtenus, les expériences acquises dans les pays d’origine sont reconsidérés, remis en cause, voire injustement ignorés. Chez Metishima, la lutte contre le déclassement est au cœur de nos préoccupations. Alors que les discussions sur le projet de loi “pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration” pointent à l’horizon, à l’automne prochain, Metishima prend la parole pour alerter sur ce frein pour l’insertion dans la dignité.

Qu’est-ce que le déclassement ?

Déclasser quelqu’un signifie, selon le petit Larousse, le contraindre à sortir de sa catégorie, de son rang initial, pour le faire passer à la catégorie sociale inférieure. En synonymes, le petit Robert évoque la rétrogradation, synonymo.fr les mots dégringolade, déliquescence ou encore déchéance. Le déclassement est donc la dévalorisation, la perte de son identité : un déséquilibre entre ses compétences, ses aptitudes et sa situation.

Le déclassement en France : Jusqu’à 56% des immigrés Bac+3/4 déclassés 

Et en France, la situation est alarmante. Les faits sont marquants : le déclassement scolaire (Robin, 2012)(2) des actifs immigrés peut aller jusqu’à 56%(3) (Insee, 2023) suivant les niveaux de diplôme et les localités. Le déclassement peut évidemment être scolaire comme il peut être salarial (Robin, ibid). Les actifs immigrés, qui peuvent combiner les deux formes, sont aussi et surtout touchés par le déclassement professionnel(4).

L’organisation Singa, citant l’Institut français des relations internationales (IFRI, 2022) fait ainsi état d’un déclassement professionnel sans appel, si elle compare l’emploi dans les pays d’origine à celui occupé en France par les personnes réfugiées : « le nombre d’ouvriers passe de 22 à 46%, celui d’employés de 18% à 42%, le nombre des cadres et des professions intellectuelles passe, quant à lui, de 10% à 2% »(5), rapporte l’association.

Le déclassement des exilés au cœur de l’étude “L’insertion des immigrés, de l’arrivée en France au premier emploi “

Ainsi, d’après l’étude(6) de l’Insee (2018), 85% des immigrés occupent un emploi d’ouvrier (58%) ou d’employé (27%). « Les catégories professionnelles ouvertes aux immigrés sont beaucoup moins nombreuses que celles qui s’offrent à l’ensemble des actifs, car les premiers entrent dans le monde du travail par la voie quasi exclusive de l’emploi d’ouvrier sans qualification », note(7) Économie et Statistiques.
Cela se produit malgré le fait que, d’après la même étude de l’Insee, 28% des immigrés possèdent un diplôme d’enseignement supérieur, dont la moitié l’ont obtenu en France. L’étude souligne que 18% d’entre eux ont un niveau Bac+3 ou supérieur là où les non immigrés du même niveau sont 17%.

Les travaux menés sur le sujet montrent que ce déclassement est généralisé sur l’ensemble des populations immigrées qualifiées et/ou ayant de bonnes expériences professionnelles dans leurs pays d’origine. Certes, le taux de déclassement varie suivant les régions d’origine(8) de ces populations, leurs niveaux d’études(9), leurs générations(10) respectives (immigrés ou descendants d’immigrés) ou encore leur genre(11) mais le fléau touche gravement l’ensemble de cette catégorie que le reste de la population. 

Immigrés, des condamnés aux métiers de « seconde zone » ?

L’interrogation est pertinente. Et si on partait du concret ?

Le déclassement est flagrant dans les métiers médico-sanitaires

Ousmane, médecin généraliste guinéen, réfugié en France depuis 2020, est préparateur de commandes. Depuis bientôt deux ans, dans une des boîtes intérim en région parisienne, il ressasse. Il se demande comment il va reprendre son métier. “Est-ce que cela vous plaît d’être intérimaire préparateur de commandes ?” Un brin mélancolique, Ousmane glisse un petit sourire. “Parce qu’il faut vivre”, lâche-t-il enfin. Et puis, avec un gros soupir : “vous savez, je devais surtout trouver un logement”.  

Ce médecin, depuis maintenant trois ans, n’a pas pu trouver de structure médico-sanitaire pour l’employer. Les métiers médico-sanitaires sont très réglementés en France. Metishima l’accompagne pour améliorer sa situation et éviter de rester dans ce déclassement. “J’ai même cherché à reprendre les études, en vain”, se désole-t-il.

Tous les profils d’exilés y sont confrontés

Et puis, il y a Amiri, 30 ans, agronome. Après plusieurs candidatures sans succès dans son domaine, ce réfugié afghan a jeté l’éponge. “Je veux me reconvertir dans la plomberie”, confie-t-il. Pourquoi ? “C’est quasi-impossible de trouver quelque chose en phase avec ses compétences et son domaine d’études si tu es étranger ici, encore plus en agronomie. En plus, j’ai pas de réseau pour m’orienter”. Hébergé chez des amis, il dit être urgemment en besoin de revenus pour se trouver un logement. 

Ces talents accompagnés par Metishima sont loin d’être des exceptions qui confirment la règle. Ils sont illustratifs du déclassement général qui frappe les talents immigrés.

Plusieurs études sont évidemment concordantes quant aux raisons structurelles de ce déclassement. Si la « galère administrative »(12) (non reconnaissance des diplômes, barrière de langue, manque de réseau, etc.) de ces personnes immigrées y est pour quelque chose, le blocage lié aux discriminations subjectives et autre racisme (patronyme, couleur de la peau, accent et autres stéréotypes) n’en est pas moins(13). Migrations Études évoque(14) ainsi – à travers des recherches empiriques notamment avec des recruteurs – des  enjeux de communication, de relations sociales et du paraître qui structureraient des processus d’imperméabilité à l’emploi pour ces personnes immigrées.

Metishima appelle à une société plus égalitaire et plus digne 

L’association Metishima qui œuvre notamment à l’insertion socioprofessionnelle des personnes conduites à l’exil par la valorisation des compétences acquises dans leurs pays d’origine se dit préoccupée par ce défi de déclassement auquel fait face son public. « C’est vraiment un gâchis que ces talents-là ne soient pas reconnus à leur juste valeur au moment où ils contribueraient considérablement au développement global de la société française », déplore Marie, fondatrice de l’association.

l'union et la diversite de personnes travaillant ensemble

Soutien aux initiatives et Appel à l’action

Metishima se réjouit ainsi des dispositions en rapport avec la régularisation des actifs étrangers sans papiers contenues dans le projet de loi asile et immigration repris ci-dessus. « Nous encourageons les décideurs à prendre davantage de mesures qui améliorent l’intégration socioprofessionnelle des personnes conduites à l’exil et luttent contre le déclassement », appelle Marie. Pour Metishima, les stages de longue durée par exemple, notamment pour les métiers réglementés, pourraient être une solution pour permettre aux travailleurs immigrés diplômés de se familiariser avec les outils et les pratiques professionnelles utilisés en France. La sensibilisation aux employeurs de l’utilisation de l’outil PMSMP (Périodes de mise en situation en milieu professionnel, dispositif de Pôle Emploi) pourrait également relever ce défi.   

Ainsi, la perspective selon laquelle la régularisation des travailleurs étrangers sans papiers dans les “métiers en tension” les restreindrait à des métiers spécifiques sera enfin remise en question.

L’association Metishima est fondée sur la dignité de toute personne humaine, et part du principe qu’à compétences égales, à diplôme égal, tout le monde a droit à un emploi identique et un même salaire, sans quelque distinction que ce soit. Metishima appelle tout un chacun, à commencer par les entreprises, à lutter contre le déclassement des professionnels exilés. Ceci, pour une société plus égalitaire et plus digne. « Nous voulons que la fraternité et l’égalité soient au cœur de toutes les politiques de recrutement», interpelle la fondatrice de Metishima. 

Notes

(1) Dans les pays de l’OCDE, un tiers des immigrés détenteurs d’un diplôme de l’enseignement supérieur sont déclassés. Voir Malroux I., Auriol-Desmulier É. et Gosselin A. pour le groupe COTIDIES, « Le déclassement professionnel parmi les immigrés en France. Une approche par méthodes mixtes », Working Paper du Ceped, n°54, Ceped (UMR 196 Université de Paris, IRD), Paris, p.1, Avril 2023. https://doi.org/10.5281/zenodo.7778974 Disponible sur http://www.ceped.org/wp 
(2) Le déclassement scolaire est le fait pour une personne d’exercer un emploi pour lequel le niveau de sa formation initiale dépasse celui requis. Voir Robin, J.,  « Les populations déclassées », 2012. Publiée sur Infos Migrations URL : https://mobile.interieur.gouv.fr/content/download/65098/471162/version/1/file/Les+populations+d%C3%A9class%C3%A9es+-+Infos+migrations+n%C2%B0+42+-+novembre+2012.pdf 
(3) Fiévet A., Raspaud G., Rault A. pour l’INSEE, « un salarié sur cinq en situation de déclassement professionnel », 2023
(4) Le déclassement professionnel correspond à une situation où le niveau de compétences d’un individu est plus élevé que celui que requiert l’emploi qu’il occupe. Voir  Malroux I., Auriol-Desmulier É. et Gosselin A., op.cit.
(5) SINGA (2023, 20 juin), « Singa lance une campagne inédite sur le déclassement professionnelle des personnes réfugiées »
(6) INSEE (2018), « L’insertion des immigrés, de l’arrivée en France au premier emploi », p.2
(7) Dares (2014), « Jeunes immigrés et jeunes descendants d’immigrés, une première insertion sur le marché du travail plus difficile en particulier pour ceux qui résident dans les ZUS », pp.1-7
(8) Frédéric Laîné, Mahrez Okba, « L’insertion des jeunes issus de l’immigration : de l’école au métier », Paris, Cerc, 2005, pp.3-37
(9) Rémi Lardellier pour l’Insee, « Difficultés d’accès à l’emploi, contrats précaires : le parcours souvent compliqué des actifs immigrés », 2020, p.3
(10) Dares (2014), ibid.
(11) Guerry L. et al., « Les femmes sont-elles des «travailleurs immigrés» comme les autres? »,
(12) Malroux I., Auriol-Desmulier É. et Gosselin A., ibid.
(13) Pauline Vallot, « Déclassement professionnel et fragilité des privilèges en migration », in : Eren Akin, Théotime Chabre, Claire Cosquer, Saskia Cousin, Vincente Hugoo, Brenda Le Bigot et Pauline Vallot, Dossier « Migrer sans entraves », De facto [En ligne], 27 | Juillet 2021, mis en ligne le 13 juillet 2021. URL : https://www.icmigrations.cnrs.fr/2021/06/16/defacto-027–05/
(14)  Migrations et Études, « Identification des discriminations dans l’accès à l’emploi des diplômés du supérieur issus de l’immigration », Paris, 2004, pp.1-8

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