Égalité, équité, dignité : la France pourrait-elle faire mieux ?

Le monde a célébré, ce mardi 20 février, la journée internationale de la Justice sociale.  A l’occasion, ce sont notamment les valeurs d’égalité, d’équité et de démocratie qui sont mises à la loupe. En conséquence, c’est aussi le moment de sensibiliser sur les défis à relever tels que la discrimination, le déclassement, la pauvreté, ou encore le chômage. Les solutions envisagées pour y remédier sont nombreuses mais, sur de nombreux aspects, la France a, malheureusement, encore du pain sur la planche. Metishima profite de cette journée pour appeler à la promotion de plus  d’égalité, d’équité…notamment dans le traitement des personnes immigrées. Notre parole.  

En France, il y a encore beaucoup à faire pour une justice sociale effective
En France, il y a encore beaucoup à faire pour une justice sociale effective

Introduction

La France continue de faire face à des défis majeurs en matière de justice sociale, en particulier en ce qui concerne la population immigrée. Les données disponibles sur le chômage, la pauvreté et les discriminations mettent en lumière une réalité alarmante, révélant des disparités socioprofessionnelles et économiques coupables entre les immigrés et les non immigrés. 

La présente tribune est un plaidoyer. Elle traite des préoccupations de l’association Metishima vis-à-vis d’une société française polarisée, dont les communautés immigrées sont les premières victimes. 

Face aux inégalités sociales engendrées notamment par des dynamiques discriminatoires systémiques et des dispositifs d’intégration lacunaires, nous en appelons aux pouvoirs publics et aux autres responsables politiques compétents à agir. Mieux, nous leur proposons des solutions permettant de bâtir une société plus équitable, plus inclusive. 

A l’occasion de la journée internationale de la justice sociale, ceci est notre contribution.  

Plus de 31% d’une population en dessous du seuil de pauvreté dans la 7ème puissance économique

Pauvreté, chômage, discrimination, etc. la situation fait froid dans le dos. Plus de 31% de la population d’origine immigrée vit en dessous du seuil de pauvreté contre 11% pour les non-immigrés et sans ascendance migratoire selon l’Insee (2023). Près de 14% de chômage chez les personnes immigrées contre 7% pour le reste (Insee, 2023). 

Dans une étude, publiée également en 2023, cet institut des statistiques rapporte un taux particulièrement préoccupant quant aux discriminations des immigrés sur le marché du travail. Cette étude, qui a porté sur les immigrés d’origine maghrébine, pointe clairement un défi de discrimination à l’emploi sur origine.  « 91 % des écarts de taux de chômage entre les immigrés du Maghreb et les hommes sans ascendance migratoire ne s’expliquent pas par des différences de profils et de trajectoires professionnelles », souligne  l’Institut. 

Les personnes immigrées en France sont les plus touchés par la pauvreté
Les personnes immigrées en France sont les plus touchés par la pauvreté

Décidément, justice sociale et population immigrée en France peinent à se mettre dans une même phrase. Les personnes contraintes à l’exil sont systématiquement pointées du doigt, cataloguées, stéréotypées, au mieux comme des mendiants, au pire comme des brigands, des criminels. En plusieurs strates, la société française se trouve-t-elle ainsi hiérarchisée, en bons et mauvais citoyens. 

Les personnes immigrées reléguées au second plan de la société française

En corollaire, les personnes immigrées et issues de l’immigration sont reléguées au second plan, déclassées professionnellement – suspectées d’incompétentes ou pas – et marginalisées socialement. Ici, puisqu’il faut illustrer, rappelons donc les chiffres. Dans une tribune dédiée, nous nous étions inquiétés d’un phénomène d’un triple déclassement structurel, touchant tous les profils des immigrés, quelle que soit leur génération et peu importe leur niveau d’études. Sur base des travaux disponibles, nous avons montré que le déclassement atteint les 56% des actifs immigrés. 

Mais une enquête était encore plus frappante. Les données de l’IFRI (2022), reprises par l’organisation Singa, faisaient état d’un déclassement professionnel sans appel, des réfugiés de France. « Le nombre d’ouvriers passe de 22 à 46%, celui d’employés de 18% à 42%, le nombre des cadres et des professions intellectuelles passe, quant à lui, de 10% à 2% », rapportait Singa.   

Le chômage et le déclassement sont des problématiques préoccupantes chez des les personnes contraintes à l'exil en France
Le chômage et le déclassement sont des problématiques préoccupantes chez des les personnes contraintes à l’exil en France

Ainsi que les Français en situation de pauvreté, les personnes immigrées sont en outre compartimentées territorialement (Jean-Louis, P., La Ségrégation des immigrés en France, 2011 ; Harzoune, M., Le ghetto français, enquête sur le séparatisme français, 2004 ; Denis, C. (Le Monde), Ghettos de riches, ghettos de pauvres : les inégalités se creusent en Ile-de-France, 2019), loin des quartiers huppés, chics, des établissements sociaux (écoles, hôpitaux, etc.) de renom, enfermés au profit de ceux que la nature a gâtés qu’on appelle, ou qui s’appellent fièrement, “riches”. L’immigré porte, non sans contrainte, la casquette de pauvre. Indépendamment de sa situation professionnelle, sauf cas d’exception, il vit alors dans la misère, sans nom, qui l’a suivi, rattrapé ou qu’il a attrapée. Alors même qu’il était en quête d’une vie meilleure…

Là où le bât blesse, les solutions pour pallier le défi sont, loin d’être adéquates, plus aggravantes. La législation, de plus en plus, stigmatise, hiérarchise, au nom du principe de la « priorité nationale » . En témoigne la dernière loi asile et immigration dont nous avons pointé, dans une série de décryptages, le caractère répressif et régressif. Au lieu de pourchasser la misère, la tendance est donc de pourchasser ses victimes.  

Interroger l’implication politique

Il est dès lors légitime, face à ces constats alarmants, d’interroger la responsabilité gouvernementale dans la promotion davantage d’intégration des personnes immigrées. Et, ce faisant, de la lutte contre les inégalités et les discriminations, dans une société dont la boussole est une devise fondée sur des valeurs humanistes. Pour la justice, la vraie, dont les institutions républicaines sont les garantes, ainsi que le théorisait John Rawls, dans Théorie de la Justice (1971) :

La justice est la première vertu des institutions sociales comme la vérité est celle des systèmes de pensée. Si élégante et économique que soit une théorie, elle doit être rejetée ou révisée si elle n’est pas vraie, de même, si efficaces et bien organisées que soient des institutions et des lois, elles doivent être réformées ou abolies si elles sont injustes

J. RAWLS, Théorie de la justice (A Theory of Justice, 1971), trad. C. Audard, coll. Points-essais, Seuil, Paris, 1997.

Nous y reviendrons plus en détails dans nos campagnes de plaidoyer dédiées, mais il nous semble, d’ores et déjà, fondamental de postuler quelques solutions, à nos yeux, convenables et urgentes. 
La première consisterait à renforcer, avant tout, hormis l’accueil, l’intégration des personnes immigrées par, notamment, l’offre et la qualité des cours de français langue étrangère (FLE), qui restent indispensables, incontournables même, pour l’insertion sociale et professionnelle des immigrés, mais qui sont souvent insuffisants, inadaptés ou inaccessibles. L’exemple de l’Allemagne est à ce propos saisissant. En 2022, en conséquence d’une approche d’intégration optimale, les réfugiés étaient ainsi plus nombreux que la moyenne allemande à occuper un poste à temps plein, comme l’a rapporté RFI.

S’inspirer et répliquer : valoriser les compétences pour une meilleure  intégration des personnes immigrées

Valoriser les compétences des populations exilées est également très fondamental. Par quelle approche ? “Il serait important de développer des dispositifs d’orientation, de formation, de validation des compétences des immigrés, en lien avec les besoins du marché du travail et les projets professionnels des individus”, plaide Marie, fondatrice de l’association Metishimasoulignant que “la vulgarisation et la généralisation des dispositifs comme le PMSMP  pourraient jouer un rôle sans précédent”.  

Pour l'OCDE, il est important de prendre en compte les compétences et les qualifications des personnes immigrées pour une meilleure intégration professionnelle
Pour l’OCDE, il est important de prendre en compte les compétences et les qualifications des personnes immigrées pour une meilleure intégration professionnelle

Car il reste crucial, pour leur intégration professionnelle, de prendre en compte les compétences et les qualifications des personnes en situation d’exil. Notamment en systématisant des bilans de compétences, comme, dans un rapport de 2014,  l’OCDE le recommandait. Là aussi, l’Allemagne s’est récemment illustrée en modèle, ainsi que l’indique la Fondation Jean Jaurès. 

Le Canada est aussi souvent cité en exemple pour ses politiques d’immigration axées sur le mérite. Hormis l’objectif d’attirer et retenir les talents du monde entier – avec lequel nous ne sommes d’ailleurs pas totalement d’accord, car vidant des pays de leurs cerveaux – sa politique consistant à favoriser  l’intégration économique et sociale des nouveaux arrivants a contribué à réduire les inégalités socio-économiques entre les populations immigrées et non immigrées, à promouvoir la diversité et l’inclusion sur le marché du travail. Inspirant. 

Il serait important de développer des dispositifs d’orientation, de formation, de validation des compétences des immigrés, en lien avec les besoins du marché du travail et les projets professionnels des individus

Marie, fondatrice de l’association Metishima

Enfin, faudrait-il mettre encore le paquet dans la lutte contre les discriminations à l’embauche, au logement, à l’éducation, à la santé, qui affectent les immigrés et leurs descendants, les précarisant. Autant s’en tenir verbalement aux valeurs républicaines contenues dans notre devise est important, autant rester réaliste face au défi existentiel et agir en renforçant les moyens de prévention, de détection, de sanctions et de réparation est primordial.

Conclusion

La journée internationale de la justice sociale est l’occasion pour nous de rappeler que les personnes immigrées sont des membres à part entière de la société française. Elles contribuent à son dynamisme, à sa richesse et à sa diversité. 

Notre tribune fait malheureusement le constat qu’en France, en 2024, tout n’est pas rose. Les personnes en situation d’exil en France sont encore stigmatisées, prises pour des citoyens de seconde zone. Et les politiques actuelles ne vont pas dans le bon sens pour améliorer les choses, au contraire.   

Il existe toutefois des alternatives possibles à la politique actuelle de la France en matière d’intégration des immigrés. Nous en avons proposé quelques-unes. Elles reposent essentiellement sur le respect des valeurs et des principes républicains. C’est là le sens de notre tribune. 

Il est temps de repenser cette politique, en tenant compte des besoins, des attentes, des potentialités et surtout des compétences des immigrés. Et il est de notre responsabilité collective de leur garantir les mêmes droits et les mêmes chances, bref la même dignité que les autres membres de notre société. Ceci participe de notre intérêt commun à tous d’œuvrer en faveur de leur intégration. 

L’égalité, l’équité et la dignité, c’est au cœur de notre engagement. Ce plaidoyer est dans le sens de cet engagement… 

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