Journée mondiale des réfugiés : En France, le droit d’asile en crise

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Paris, le 20 juin 2023

Ce mardi 20 juin, le monde a célébré, pour la 23ème fois, la journée mondiale des réfugiés. En France, cette journée intervient au moment où le droit d’asile constitue de plus en plus un enjeu de vives contestations qu’alimentent des discours politiques sinon xénophobes du moins politiciens, électoralistes. Aussi, les propositions de loi constitutionnelle(1) et ordinaire(2) déposées au parlement au cours de ce mois par Les Républicains traduisent en partie cette crise du droit d’asile.

L’association Metishima est évidemment préoccupée. «Je ne peux pas me taire devant l’instrumentalisation du fait migratoire et a fortiori d’un droit constitutionnel tel que le droit d’asile», assure Marie, sa fondatrice. 

Instrumentalisation. C’est bien le mot adéquat pour qualifier une certaine approche politique des personnes immigrées – dont des demandeurs d’asile et autres réfugiés – et du phénomène migratoire. Des «Sauvageons(3) de Jean Pierre Chevènement en 1999 aux «Racailles»(4) de Nicolas Sarkozy en 2005, le registre lexical qui stigmatise les immigrés s’enrichit et se popularise du jour au lendemain.  Ainsi, les concepts du «grand remplacement» (5) popularisé en 2011 par Renaud Camus ou encore d’«ensauvagement»(6) par Xavier Raufer (Christian de Bongain) sont aujourd’hui sur toutes les lèvres de la droite et de l’extrême-droite.

Décidément, l’immigration est dans le collimateur d’une certaine opinion politique qui l’instrumentalise pour des fins politiques, voire xénophobes. Et sous ce régime de stigmatisation, tous les amalgames et autres idées reçues sont permis, à l’instar du fameux rapport(7)immigré et délinquance dont des études(8) démontrent l’absurdité. Ce faisant, le droit d’asile pourtant consacré et reconnu par la Constitution de la République et les instruments juridiques internationaux que la France a ratifiés (la DUDH, la Convention de Genève de 1951, la Convention européenne des droits des l’homme, etc.), s’en trouve bafoué. 

Asile : le luxe ou le crime ?

Les deux propositions de loi sur l’immigration déposées au Parlement en juin 2023 ont le mérite d’être on ne peut plus claires quant à l’objectif qu’elles nourrissent : durcir les voies d’immigration et restreindre le droit d’asile. L’association Metishima juge cette situation scandaleuse.

Comment justifier que des victimes de persécution, des persona non grata à abattre à tout prix ou d’autres personnes en danger (en situation de conflit armé, exposées à des mutilations sexuelles, etc.) aient à soumettre leur demande d’asile dans une ambassade ou consulat sur le territoire de leurs bourreaux ? Parce que les représentations diplomatiques seraient désormais susceptibles de se transformer en camps de réfugiés ? 

Comment admettre qu’un demandeur d’asile arrivant de justesse sur le territoire français, traumatisé parce qu’il/elle a subi dans son pays d’origine (menaces de mort, tortures et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants)  et durant son parcours migratoire  (le calvaire de la route migratoire (9), l’enfer libyen(10), etc) ait à subir, comme si cela ne suffisait pas, une rétention privative de liberté ? Parce que cela serait un crime de demander l’asile ou parce que ce serait abuser d’un luxe de devoir quitter les siens, sa famille, ses proches et amis et de ne les revoir peut-être plus jamais ? 
Dans l’imaginaire de ces politiques, l’immigration comme l’asile des réfugiés constituent donc un problème à résoudre. La proposition de loi constitutionnelle relative à la souveraineté de la France, à la nationalité, à l’immigration et à l’asile revient plusieurs fois sur “immigration de masse”, comme une grosse préoccupation, avant de pointer un certain “chaos migratoire”. Ces qualificatifs, assez évocateurs d’une certaine obsession, sont évidemment totalement inappropriés, déplacés voire honteux ! Les études existantes montrent qu’il s’agit là d’un a priori de parler d’une immigration “massive” car les statistiques(11) sur la durée et dans l’espace européen font état d’une tendance plutôt inverse.

S’exiler, devenir réfugié ou rester : un choix ?

Si les politiques, au nom de la priorité nationale, entendent réduire l’immigration en supprimant les aides sociales et sanitaires aux résidents étrangers comme veulent le faire croire les deux propositions de loi, ils se trompent de cible là aussi. Les différents travaux menés sur les flux migratoires démontrent que les départs sont essentiellement motivés par des contraintes politico-sécuritaires, économiques ou encore environnementales (Fargues, 2002 ; Djebbi, 2011 ; Wihtol de Wenden, 2002, etc.)(12). Ainsi, les pays en conflit politique tels la Syrie, l’Afghanistan ou l’Irak battent le record des arrivées (irrégulières)  de personnes migrant·es et demandeurs d’asile en Europe tout comme du Sud l’Erythrée, la Libye, la Somalie ou encore la République démocratique du Congo.

Les gens partent parce qu’ils n’ont d’autre choix que de partir. Et contrairement aux idées reçues telles que la France risqueraient “d’accueillir toute la misère du monde” si elle maintenait sa politique migratoire et/ou sociale actuelle, il est de notoriété publique que la plupart des personnes migrantes s’établissent dans les pays limitrophes(13) des leurs, dans l’objectif d’un retour une fois que les conditions favorables au retour sont réunies dans ces pays d’origine(14).  

Encore une fois, la répression des personnes migrantes, outre qu’elle porte atteinte aux droits humains et constitue un manquement aux engagements, est dépourvue de tout fondement logique. C’est un faux combat.  Les protagonistes de cet acharnement se trompent de cible car le problème se situe en amont. L’endiguement des flux migratoires passera par la résolution aux crises politico-sécuritaires, à la pauvreté et la famine et ou encore à la maîtrise du changement climatique dans les pays des départs et non aux politiques restrictives, violentes. 

Pour une société humaine, socialement responsable

“Ces politiques restrictives couplées d’une vraie campagne de diabolisation des personnes migrantes ont donc encore atteint l’effet escompté. Ce n’est bien sûr pas la réduction des flux migratoires, mais de nouvelles centaines de morts sur la route migratoire, faute de sauvetage ”, déplore Marie. 

Le bateau de fortune qui a chaviré mercredi 13 juin au large des côtes grecques a fait au moins 78 morts et des centaines de disparus(15) faute de ces politiques et des discours. Ces personnes en quête de sécurité et d’une vie meilleure sont mortes faute de voies légales d’accès à l’Union européenne – avec notamment les difficultés d’obtention des visas pour l’espace Schengen – et la fermeture des frontières extérieures de l’Union européenne. Ces personnes contraintes à l’exil n’avaient d’autre choix que de s’engager sur cette voie “illégale” et dangereuse. Ce chalutier n’aurait peut-être pas chaviré s’il y avait eu assistance  à temps au nom du droit maritime qui  recommande aux pays de venir au secours des navires en détresse dans les eaux de leur ressort (en l’occurrence la Grèce). Mais, comment sauver des personnes réduites aux stéréotypes (qui des affamés en quête du pain de l’eldorado européen, qui des clandestins délinquants, qui même des “terroristes”, etc) ?

Nous voulons une société humaine, sociale, responsable. Les personnes migrantes sont des êtres humains qui ont besoin d’un traitement digne comme tout le monde. Elles méritent assistance quand elles en ont besoin. Contraintes à l’exil, elles méritent d’être accueillies comme des femmes et des hommes, et d’être intégrées en toute dignité. 

“Nous voulons une société française plus engagée à l’insertion socio-professionnelle des personnes conduites à l’exil, avec une employabilité sans discrimination aucune, et pas une société qui a un rapport à l’altérité pitoyable, qui considère l’autre comme un miserable dangereux, digne de disparition”, plaide Marie, représentante de l’association Metishima.  

Notes

  1.  Proposition de loi constitutionnelle (par LR) relative à la souveraineté de la France, à la nationalité, à l’immigration et à l’asile, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 juin 2023 ;
  2. Proposition de loi (par LR) pour reprendre le contrôle de la politique d’immigration, d’intégration et d’asile, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 juin 2023 ;
  3. Guy Benhamou et Laurent Chabrun (21 janvier, 1999), Que faire des “sauvageons”, L’EXPRESS publié sur http://bitly.ws/J2Qf ;
  4. Amaury Guibert et Marie Cazaux (26 oct, 2005), Nicolas Sarkozy « Vous en avez assez de cette bande de racaillles, on va vous en débarrasser », INA publié sur http://bitly.ws/J2RZ ;
  5. Renaud Camus, Le grand remplacement, éditions. David Reinharc, 2011, 76p. ;
  6. Xavier, R. (2021, 1juin). Homicides & tentatives, « ensauvagement » et médecine d’urgence : où en est-on ? XAVIER RAUFER.  http://bitly.ws/J33s ;
  7. Propos récurrent à la droite et à l’extrême droite notamment, comme ici par Eric Zemmour : Public Sénat (2022, 26 janvier). Pour Eric Zemmour, la délinquance est due aux « immigrés ou aux enfants d’immigrés » http://bitly.ws/J35P ;
  8. Désinfox-Migration, Les migrations ne sont pas la cause de l’insécurité, http://bitly.ws/J8tE ;
  9. Pour en savoir plus, voir UNHCR (Juillet, 2020), ” Des milliers de réfugiés et de migrants en mouvement entre l’Afrique de l’Ouest et de l’Est et les côtes africaines de la Méditerranée endurent d’extrêmes violations des droits humains, selon un nouveau rapport du HCR et du MMC”, ( Juillet, 2020) publié sur http://bitly.ws/IZLw ;
  10. Cette locution (enfer libyen), aujourd’hui répandue notamment dans le langage des organisations de défenseurs des droits humains et de sauvetages de migrants en mer Méditerranée et dans les médias, est utilisée pour désigner tortures, extorsions, disparitions forcées, viols des femmes, hommes et enfants, assassinats, etc. qui se commettent dans les centres de détention des migrants en Libye comme l’ONU l’a encore rapporté en mars 2022 ;
  11. Statistiques d’Eurostat. Mises en perspectives ici par Désinfox-Migrations, Le mythe de la Submersion migratoire, http://bitly.ws/J38j ;
  12. La Cimade, “Pourquoi migre-t-on?”, publié sur  https://www.lacimade.org/faq/pourquoi-migre-t-on/ ; Fargues, Philippe. « Les guerres, facteur décisif de migrations », Confluences Méditerranée, vol. 42, no. 3, 2002, pp. 23-35 ;   Djebbi, Sihem. « Les migrations de conflit, facteur central de déstabilisation régionale ? Comparaison des migrations palestiniennes et irakiennes au Moyen-Orient », Les Champs de Mars, vol. 21, no. 1, 2011, pp. 35-54.  Ferragina, Eugenia, et Désirée A.L. Quagliarotti. « Flux migratoires et environnement. Les migrants de l’environnement en Méditerranée », Revue Tiers Monde, vol. 218, no. 2, 2014, pp. 187-204 ;  Wihtol de Wenden, Catherine. « Motivations et attentes de migrants », Revue Projet, vol. 272, no. 4, 2002, pp. 46-54 ;
  13. Des millions d’Afghans se réfugient au Pakistan et en Iran, des millions de Syriens sont exilés en Turquie voisine, etc. Selon les chiffres du Haut-commissariat pour les réfugiés (HCR), aucun pays européen ne figure dans le top 4 des pays d’accueil en 2022. L’Allemagne, 5ème de la liste, arrive loin derrière la Turquie (1er), la Colombie (2ème), l’Ouganda (3ème) et le Pakistan (aperçu statistique des tendances mondiales des personnes déracinées, publié par le HCR sur  https://www.unhcr.org/fr/apercu-statistique.html ;
  14. Pour les détails, voir OIM, “Etat de la Migration dans le Monde 2022”, publié en ligne sur  https://publications.iom.int/books/rapport-etat-de-la-migration-dans-le-monde-2022 ;
  15. Info Migrants (2023? 14 juin). Grèce : au moins 78 morts dans un naufrage, le plus meurtrier de l’année dans le pays,  http://bitly.ws/J3aw.

Contact presse : Edouard NKURUNZIZA – edouard@metishima.org

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