Décryptages de Metishima #04/ Loi immigration : mieux comprendre les réformes et leurs conséquences dramatiques

Après notre décryptage sur la régularisation des travailleurs exilés en situation irrégulière et celui sur l’inexistence du lien entre l’immigration et le chômage, il est temps d’analyser les autres grands changements introduits dans la loi asile et immigration adoptée le 19 décembre dernier, ainsi que leurs conséquences. A travers cette analyse, nous revenons sur les réformes concernant le regroupement familial, le droit du sol, l’immigration étudiante ainsi que les prestations sociales, à la veille de la sortie du Conseil constitutionnel.

Introduction

Les différentes réformes introduites dans le projet de loi Darmanin par le Sénat, maintenues par la Commission mixte paritaire et adoptées enfin par le parlement ont le mérite d’être claires, sur l’intention qu’elles renferment : durcir les voies d’immigration et précariser la situation des personnes immigrées déjà présentes. 

Le présent article montre que la réforme sur les prestations sociales, consacrant la priorité nationale, n’est en vérité qu’une mesure politicienne, à visée électoraliste. Il montre que, tout en apportant rien aux Français, la réforme fait des dégâts colossaux sur la condition de l’immigré.

Sur  base des études existantes, l’article permet de cerner les effets néfastes, à moyen terme, de la suppression de l’automaticité du droit du sol : un « effet cicatrice » qui ne permettra pas aux individus d’adhérer aux valeurs de la République.

Notre article rappelle également que restreindre le regroupement familial est contre-productif en cela que ce dernier est au service d’une meilleure intégration des personnes immigrées d’après la recherche disponible.  Et, enfin, nous discutons des ambiguïtés et de l’incidence de la caution étudiante et le caractère réel et sérieux des études, préalables pour la délivrance de la première carte de séjour étudiante

1. Les prestations sociales

Aujourd’hui

Toucher les prestations sociales sous le régime actuel nécessite de justifier d’une situation régulière, soit une carte de séjour valide, sur une durée de résidence variable suivant les prestations. Dans tous les cas, celle-ci est de seulement quelques mois. Par exemple, il faut attendre six mois pour les allocations familiales au moment où l’étranger en situation régulière attend trois mois pour la prestation de compensation d’invalidité.  

Après la loi 2023

Les prestations sociales dites « non contributives » sont, en vertu de la nouvelle loi immigration, conditionnées à une plus longue durée de résidence en France. Les prestations sociales dites non contributives sont des prestations versées sans contrepartie de cotisations. Il faudra désormais 5 ans de séjour régulier pour prétendre aux  aides personnalisées au logement sauf si le demandeur travaille depuis 3 mois en France ou dispose d’un visa étudiant ; 5 ans pour les allocations familiales, l’allocation personnalisée d’autonomie et le droit au logement opposable, sauf si le demandeur travaille depuis 30 mois. 

Une réforme purement électoraliste et aux conséquences dramatiques

Selon les dernières données existantes de la CNAF (2019), 10% des foyers étrangers (européens et hors UE) perçoivent au moins une prestation sociale, soit 13% de l’ensemble des prestations. Si l’effectif des étrangers bénéficiaires reste inconnu (les données des organismes versant les prestations n’étant pas centralisées), les bénéficiaires du RSA, de nationalité étrangère, sont en revanche connus et représentaient 7 % en 2015.   

Les conditionnalités répressives  introduites avec la nouvelle loi asile et immigration ambitonneraient de faire des économies sur une partie de ces  prestations.  Qu’il nous convienne de préciser avant tout que bien de foyers étrangers continueront à percevoir ces aides car remplissant les conditions requises. Il ne restera par conséquent qu’une infime partie des pourcentages sus-repris dont on ne peut dire qu’elle contribuerait à améliorer la situation des caisses de l’Etat et le sort des familles françaises dans la précarité financière.   

Amputer ou refuser les prestations sociales aux personnes de nationalité étrangère n'améliore pas le sort des Français
Amputer ou refuser les prestations sociales aux personnes de nationalité étrangère n’améliore pas le sort des Français

N’empêche, l’instrumentalisation de ces prestations n’aura pas raté son double dessein :  

D’un côté, l’électoralisme et la xénophobie. L’adoption de la loi par le parlement a en effet consacré, que dis-je, légitimé les stéréotypes sur les enjeux migratoires et les personnes immigrées. Une partie  de la société française peut désormais croire à l’idée telle que les prestations sociales sont une pompe aspirante pour l’immigration, que les personnes immigrées sont à l’origine de l’insécurité ambiante, à l’idée du grand remplacement à travers le regroupement familial et l’immigration étudiante,… que les frontières sont des passoires, etc., toutes des idées fausses d’après des travaux de recherche existants. 

Cette perception est d’autant plus dangereuse qu’elle demeurera nonobstant l’abrogation ou l’amendement des dispositions qui la consacrent. Le tout évidemment à l’avantage des tenants de cette idéologie xénophobe à des fins électoralistes.  

D’un autre côté, des conséquences dramatiques. Cette loi aura en effet des conséquences directes et particulièrement néfastes sur la condition de l’immigré.e de nationalité étrangère.  Les cas illustrés par Politis, citant la note du collectif Nos services publics, sont exemplairement éloquents et alarmants.  

En partant du d’un exemple de deux employés à temps partiel (70%) au smic (912€), l’un Français et l’autre de nationalité étrangère, la note montre que les deux auront au final une différence de 500€ – soit 1412€ au Français (grâce à la prime d’activité et les APL) pour 912€ de l’étranger (qui n’aura plus droit aux aides versées au Français), alors même qu’ils s’acquittent des mêmes contributions et redevables aux mêmes impôts. De même, en vertu de cette restriction aux prestations, deux aides soignantes mères-célibataires au salaire net de 615€, avec un enfant de moins de trois ans, auront un écart de revenu d’environ 1000€ basé uniquement sur leur nationalité.  

Sans améliorer le sort des Français et donc en conséquence sans servir à quelque chose de positif que ce soit, ces dispositions sur les prestations sociales engouffrent dès lors les personnes immigrées, y compris qui travaillent, tout simplement dans une misère sans nom.

2. Le droit du sol

Le droit du sol permet une meilleure intégration des enfants nés de parents étrangers et pas l’inverse

Aujourd’hui

La législation en vigueur à ce jour permet l’automaticité de la nationalité française à un enfant né en France de deux parents étrangers, à sa majorité (18 ans). Seules deux conditions : avoir vécu en France pendant 5 ans, de manière continue ou discontinue, depuis ses 11 ans et résider en France à 18 ans. Il peut aussi l’acquérir sur demande dès l’âge de 13 ans.

Après la loi

La loi immigration adoptée le 19 décembre supprime l’automaticité. En vertu de cette loi, ces enfants devront désormais « manifester leur volonté » de devenir Français » entre 16 et 18 ans, sans que ce droit leur soit accordé de plein droit. L’autorité administrative passera au crible chaque dossier pour en détecter notamment des antécédents juridiques. 

Conséquences : des effets boomerang

Vers des Français de seconde zone ? Il s’agit là de la question qu’il convient de (se) poser. Cette disposition témoigne, en toute apparence, de la victoire de propos discriminants traitant une partie de Français de « Français de papiers ». 

Ceux qui tenaient ce propos, par trop raciste en substance, s’ils l’associaient à tous les français d’origine immigrée, sans distinction de génération, partaient de la naturalisation des ressortissants étrangers sur dossier, qui constitue un mode d’acquisition de la nationalité française à part entière. 

Cette amalgame n’aura désormais plus lieu d’être puisque, tout simplement, toute obtention de la nationalité sera issue d’un dossier minutieusement étudié. Et les enfants nés en France, sans autre culture, langue et autres valeurs que celles de la France deviendront, pour les chanceux, des « Français de papiers ». 

Une grande question à se poser, en pareille occurrence, est celle de la citoyenneté des Français qui se seront discriminés dès la naissance. Va-t-on demander allégeance à la République, adhésion à des valeurs, aux citoyens relégués au second plan dès leur naissance ?

La question se pose d’autant avec acuité que pareille réforme n’est pas nouvelle. Pour une première fois depuis plus d’un siècle, la loi Pasqua – dont nous avions parlé ici – avait en effet aboli, en 1993, l’automaticité du droit du sol. 5 ans plus tard, à l’issue d’un bilan négatif sur les retombées de la réforme, le gouvernement Jospin remettait l’automaticité. 

N’empêche : The Conversation rapporte un “effet cicatrice” au niveau du sentiment d’appartenance nationale chez les jeunes touchés par la loi Pasqua.  Comme quoi, le but recherché, à travers l’exigence de manifestation de volonté pour la naturalisation, à savoir l’intégration, n’a et n’aura qu’un effet boomerang ! 

3. Le regroupement familial

Restreindre le regroupement familial est contre productif vis-vis de l'intégration des étrangers
Restreindre le regroupement familial est contre productif vis-vis de l’intégration des étrangers

Aujourd’hui

A ce jour, le regroupant (le demandeur du regroupement familial) doit avoir une résidence régulière de 18 mois en France et des conditions d’accueil stables et suffisantes (seuil minimum de ressources propres et logement adéquat) ; et son conjoint (si le regroupement concerne sa femme ou son mari) âgé de moins de 18 ans à la date du dépôt de la demande. La connaissance de la langue française n’est pas une condition constitutive du rejet de la demande.

Après la loi 2023

Le regroupement familial sera désormais conditionné à la connaissance de la langue française avec un niveau permettant au(x) regroupé(s) de communiquer au moins de “façon élémentaire”. Il est en outre exigé de l’étranger regroupant d’attendre au moins 2 ans (24 mois) pour être rejoint par sa famille (conjoint(e), et autres enfants) en plus de justifier des ressources stables, régulières et suffisantes avec vérification par le maire des conditions de logements et de ces ressources. Aussi, seules les conjoints de 21 ans et plus pourront venir – contre 18 ans auparavant.

Comprendre : des rallongements sans fin…

Tout d’abord – on ne le dira jamais assez – contrairement aux idées reçues, le regroupement familial ne représente pas une grande partie de la filière d’immigration. Reprécisons qu’il ne concerne que les ressortissants étrangers hors Union européenne. Ainsi seules 14 134 personnes sont-elles arrivées en France en 2021 par le regroupement familial, selon l’association Désinfox-Migrations qui cite le ministère de l’Intérieur. 

Pour le reste, hormis les autres conditions à remplir, sur le délai, il est important de rappeler que le regroupement va largement au-delà des 18 mois de résidence. Car les lourdeurs administratives des deux côtés, dans le pays d’origine comme en France, font s’allonger de plusieurs mois le regroupement. Qu’il s’agisse de la réponse de l’OFII à attendre 6 mois durant, de l’introduction  de la demande de visa au niveau des consulats et l’attente de la réponse ensuite.  Ce n’est pas tout : relancer ensuite à la suite d’un refus de l’autorisation par l’OFII ou faire un recours aux instances juridictionnelles rallonge davantage ces délais. 

L’ajout des six mois dans la nouvelle loi immigration ne fera donc que retarder encore plus le regroupement familial, sans que cela ne soit justifiable ex-nihilo, comme l’explique l’avocat Julien Martin, dans son interview pour Rue89 Strasbourg : 

« Faire passer la condition de séjour de 18 à 24 mois n’est pas justifié par une nécessité réelle. On a l’impression qu’il s’agit juste d’une disposition répressive sortie de nulle part, qui stigmatise les ressortissants étrangers qui ont droit au regroupement familial. » 

Autant dire, encore une fois, que la disposition ne renfermerait qu’une volonté répressive et a contrario du but affiché à savoir plus d’intégration des ressortissants étrangers réguliers. Car, selon des travaux de recherche existants (OCDE, 2019 ;   Tineke Strik, Betty de Hart, Ellen Nissen, 2013), le regroupement familial favorise l’intégration des immigrés.

4. Les visas pour étudiants internationaux

La caution étudiante et l'évaluation du caractère réel et sérieux des études précarisera les étudiants internationaux
La caution étudiante et l’évaluation du caractère réel et sérieux des études précarisera les étudiants internationaux

Aujourd’hui

La première délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention “étudiant” pouvait jusque-là être subordonnée à la production par l’étranger d’un visa long séjour (VLS), sans que cela ne soit une condition sine qua non. L’autorité administrative pouvant en effet, selon une ordonnance de décembre 2020, accorder ladite carte sans exiger le VLS. 

Après la loi 2023

La première carte de séjour portant la mention “étudiant” sera, en plus des modalités existantes, conditionnée au “dépôt d’une caution” par les étudiants internationaux. Le “caractère réel et sérieux des études” sera également condition à la délivrance de cette carte de séjour. Le manquement à ce “caractère sérieux” pouvant conduire à son retrait. 

Conséquences : restriction ou précarisation des étudiants internationaux

Sous le régime de la législation actuelle dédiée, les visas long séjour accordés aux étudiants internationaux sont soumis à plusieurs conditions. Une d’elles, la démonstration financière de prise en charge pendant les études. Des documents bancaires prouvant que l’étudiant dispose de plus de 6 milles euros pour sa prise en charge lors de son séjour en France sont requis. Plusieurs étudiants étrangers se portant candidats à la poursuite des études en France se voient ainsi systématiquement déboutés, taxés ou soupçonnés de ne pas remplir cette condition. 

La loi asile et immigration de 2023, en rajoutant les deux conditions susmentionnées, comporte deux ambiguïtés majeures. 

D’une part, si le montant de la caution n’est pas précisé, il n’est pas non plus dit à quel moment elle est déposée. Vient-elle supplanter la preuve de prise en charge en amont de la demande de visa étudiant, ou c’est pour s’y ajouter ? Si c’est pour s’y ajouter, serait-elle déposée à l’arrivée en France ou avant le départ de l’étranger ?

Ces questions sont d’autant pertinentes que, d’autre part, on ne sait pas à quel moment le caractère sérieux et réel des études sera évalué.  

En toute hypothèse, la double mesure est restrictive en cela que la caution durcira davantage les conditions, qu’elle s’ajoute à la preuve de prise en charge financière requise pour le VLS ou la remplace. En amont, elle empêchera encore aux étudiants talentueux d’obtenir des visas ; en aval, elle précarisera la situation des étudiants internationaux qui choisiront entre rester aux études et devenir sans papiers ou suspendre les études et “travailler au noir” pour financer l’obtention de la carte de séjour. 
Par ailleurs, la vérification du caractère réel et sérieux des études, par trop subjectif, entraînera une dictature scolaire si faite en amont, ou un accroissement des étudiants devenant sans papiers, si faite aval. Il est de notoriété publique que des jugements subjectifs, telle que la possibilité de retour ou de maintien, sont systématiquement apportés aux demandes de visas, par les consulats, suivant les profils des candidats.

Conclusion

En somme, à la lumière de ces réformes, dont nous espérons la suppression par le Conseil constitutionnel, il saute aux yeux que, au moment où le projet de loi entendait « contrôler l’immigration et améliorer l’intégration”, le parlement a retenu l’aspect de ”contrôler l’immigration” sans aucune pensée sur celui d’ ”améliorer l’intégration”.  

Nous estimons et aurions aimé que cela soit plutôt l’inverse. Car, toutes les études convergent sur une chose : les raisons des migrations se trouvent non dans les pays d’arrivée, mais dans les pays d’origine. En vertu de cette logique, rien ne pourra stopper l’immigration, alors que l’intégration efficace dépend d’une bonne volonté politique et de l’action de nous tous.

Notes

  1. Les allocations familiales sont des aides financières accordées par les caisses d’allocations familiales (CAF) ou les mutuelles sociales Agricoles (MSA). Elles sont réservées aux personnes ayant à charge au moins deux enfants de moins de 20 ans.
  2. EMN, 2013, 12 mars),  “Regroupement Familial: Barrière ou Facilitateur d’Intégration? Une étude comparative” publié sur  https://emnbelgium.be/fr/publication/regroupement-familial-barriere-ou-facilitateur-dintegration-une-etude-comparative ; OECD,” Liens familiaux : les effets du regroupement familial sur l’intégration des immigrés”, 2019. Publié sur OCDE https://www.oecd-ilibrary.org/sites/e90ad598-fr/index.html?itemId=/content/component/e90ad598-fr 
  3.  J’appelle dictature scolaire l’obligation de faire des choix d’études et/ou de se conformer à un programme imposé et jugé comme réel et sérieux sans prise en compte d’éventuelles problématiques et difficultés que rencontrent les étudiants internationaux
Retour en haut